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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

mais, comme le curé était fort bon homme au fond, et quelquefois s’arrêtait dans la rue pour donner ses souliers à un pauvre, si celui-ci s’avisait de les lui demander, il était avec ses ouailles sur un ton de plaisanterie.

Huit jours avant l’arrivée de l’empereur, M. de La Grée avait prêché un sermon où il avait répété plus de vingt fois : Où est-il maintenant ce grand capiténe ? Où est-il celui que vous appelez le grand haume ?

Le soir de l’arrivée de l’empereur, quand les jeunes gens eurent longtemps crié Vive l’empereur ! ils eurent l’idée d’aller donner des nouvelles à l’abbé de La Grée ; ils l’appelèrent, il ouvrit sa fenêtre.

— Qu’y a-t-il ? que voulez-vous ?

— Eh bien ! monsieur de La Grée, vous demandiez l’autre jour dans votre sermon où était l’empereur ; il est chez La Barre.

Quelques intérêts commençaient aussi à s’éveiller ; l’esprit actif des Dauphinois spéculait sur la grandeur future de Napoléon.

Le général Marchand et le préfet Fourrier avaient quitté la ville. L’empereur plaisanta sur l’absence de ce dernier, homme charmant, d’un esprit vraiment français, et qui avait fait avec lui la campagne d’Égypte.

— Il faut pourtant bien, dit l’empereur, que quelqu’un administre ce département. Un Grenoblois qui était près de lui nomma M. Savoye-Rollin, ancien préfet d’Anvers, qui habitait un village près de Grenoble ; c’était aussi un homme d’infiniment d’esprit à la française, c’est-à-dire peu susceptible d’enthousiasme ; il refusa. M. de Barral, premier président de la cour royale, fidèle au sentiment national, harangua l’empereur au nom de la cour royale. Quant à l’empereur, il ne gronda personne ; il sembla avoir oublié pour le moment toute la partie sévère des devoirs d’un souverain. Il faisait accueil à tout le monde.