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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

des motifs bas : c’est le contraire des décisions que la mode dicte à la bonne compagnie.

Mon guide est patriote exalté, comme on l’est dans toute la Vallée (du Grésivaudan) : il me raconte à sa manière la défense de Grenoble le 6 juillet 1815. Dans quelques années, lorsque certains vieillards chagrins n’auront plus voix au chapitre, il y aura le 6 juillet une grande fête nationale à Grenoble et dans toute la vallée. On tirera cent coups de canon la veille, au coucher du soleil ; et le jour de la fête, de ce même rempart de Trèscloître, où l’on voit encore des arbres coupés par le canon piémontais, on tirera un coup de canon tous les quarts d’heure. Le fort Barreaux répétera les salves, et prêtera deux pièces de quatre aux canonniers de la garde nationale de la vallée ; ces pièces seront mises en batterie au château Bayard et tireront de quart d’heure en quart d’heure. Le gouvernement donnera 5,000 fr. pour cette fête, 500 fr. à chaque village, et rendra par là sa place forte de Grenoble imprenable. Mon guide était tout exalté par cette prédiction. Je suis sorti de cette belle vallée de l’Isère par le petit chemin de Corenc ; il s’élève au milieu des vignes, le long de la montagne qui domine la vallée du côté du nord. Je ne pouvais me détacher de ce beau pays que je voyais pour la dernière fois : souvent je me suis arrêté. Après que l’on a perdu de vue l’Isère et le fond de la vallée, on se trouve comme vis-à-vis du fameux Taillefer et de toute la haute chaîne des Alpes. On aperçoit une foule de nouveaux pics ; ils semblent croître à mesure que l’on s’élève.

Je distinguais parfaitement, avec ma petite lorgnette d’opéra, les aiguilles de granit qui couronnent leurs sommets, et dont la pente est trop rapide pour que la neige puisse s’y arrêter ; elle s’amoncelle à leur pied.

Après m’être arrêté longtemps, j’ai dit adieu à cette belle vallée de l’Isère.

Dans les pays de savante culture à moi connus, la Basse-Écosse, la Belgique, les riches façons données aux terres, les