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Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, II, Lévy, 1854.djvu/180

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ŒUVRES DE STENDHAL.

Nous passons dans une grande salle assez basse où l’on a réuni les portraits de tous les généraux de l’ordre. Le talent manque souvent aux peintres, mais il y a quelques physionomies curieuses ; on reconnaît les mêmes qualités et habitudes de l’âme chez des hommes de races et de tempéraments fort différents. Une de nos dames, qui a l’intelligence de l’âme, eût goûté cette galerie de vieillards ; il y a ici de la simplicité simple. Pour arriver à cette idée par les contraires, voir la simplicité des saintes gravées à Paris, ou les Allemands, à qui Dieu fasse paix ! imitant Raphaël.

On nous a présenté une carte de cinq francs par tête et par jour ; et comme, par bonheur, nous avions appris que les chartreux vendent un élixir, ces messieurs en ont acheté. Il est fort cher, et ne laisse pas de produire quelque effet.

Enfin, après avoir erré longtemps dans ces magnifiques bois de sapins, nous nous sommes décidés à regret à monter sur nos mulets, qui, depuis deux heures, broutaient en nous attendant auprès de l’allée de grands fayards. Nous avons pris la route de Fourvoirie et de Saint-Laurent-du-Pont. Bientôt nous avons trouvé une petite rivière nommée le Guiers, ses bords sont couverts des arbres les plus majestueux ; ce sont des chênes, des frênes, des fayards, des ormes de quatre-vingts pieds de hauteur ; et les rochers qui dessinent les bords de la vallée dans le ciel ont des formes admirables, tandis que sur les bords du torrent les arbres croissent serrés comme ceux des Tuileries. Les muletiers nous font remarquer deux arbres dont l’un a traversé son voisin dans une chute, et tous deux vivent fort bien. À un certain endroit, on nous a fait arrêter et regarder en arrière. Vers la grande Chartreuse, il y a là une pyramide fort élevée qui semble fermer la route absolument, et au sommet de cette pyramide s’élève un fort beau pin. Il n’y a peut-être pas une autre vallée au monde aussi belle que celle-ci.

Près de Fourvoirie, un rocher s’avance dans le chemin, et il n’y a guère qu’un espace de trois pieds entre ce rocher et le pré-