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ŒUVRES DE STENDHAL.

— Je n’ai jamais tant ri, dit le général N… ; ce fut la fin des bals pour cette année[1].

Vous savez combien on est grave et religieux dans cette même ville de N… ; vous croyez que tout le monde se gêne et s’ennuie en province ? eh bien ! vous allez voir qu’il est encore de vrais Français. M. de Clairval est un homme d’infiniment d’esprit, d’un savoir profond, et que vous verrez un jour à la tête de l’administration financière dont il fait partie. Il arrive dans cette ville de N…, si morale et si grave, pour y remplir une place importante ; mais, en même temps que lui, arrivent deux demoiselles de mœurs on ne peut pas moins équivoques.

M. de Clairval les aime également toutes les deux, et prend pour elles un charmant appartement dans la rue la mieux habitée de la ville. Ce qu’il y a de curieux, c’est que ces deux demoiselles fort jolies ne se piquaient pas de fidélité ; elles donnaient des rivaux à leur ami commun, et lui ne s’en fâchait aucunement. Ces rivaux arrivèrent au point de se battre entre eux au logis des demoiselles ; il y eut scandale. Le maire, homme pieux, voulut engager les demoiselles à quitter la ville ; mais M. de Clairval les soutint bravement ; et enfin ce n’est que six mois après les premiers scandales qu’elles ont bien voulu partir. Les détails de cette dernière moitié de l’histoire sont charmants, et font même son principal mérite ; mais, en vérité, je ne puis les donner : ce serait nommer la ville grave où M. de Clairval a trouvé le secret de ne se point trop ennuyer.


— Genève,… 1857.

M. de C… et moi, nous avons quitté avec peine mon nouvel ami et sommes venus à Genève. On parcourt les vallons des montagnes qui forment le contre-fort du vénérable mont Blanc,

  1. Je ne me suis pas engagé, comme on voit, à donner des anecdotes nobles et intéressantes ; il suffit, pour mon objet, qu’elles soient vraies et assez récentes. Les convenances m’obligent à les dépayser.