Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, II, Lévy, 1854.djvu/204

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
198
ŒUVRES DE STENDHAL.

Les radicaux outrés de Genève penchaient un peu vers la France, mais le blocus hermétique (vous en souvient-il encore ?) a mis en colère la majorité, et les radicaux n’ont pas osé se montrer trop différents du reste de la population. L’amour-propre était vivement blessé, et les Genevois ont accusé Berne de faiblesse.

Là-dessus un silence profond a été toute ma réponse…

Ainsi les partis, dans Genève, gardent des projets pour l’avenir[1] (ressource des découragés) ; mais, pour le moment, ils me semblent tout à fait calmés. La Société patriotique, composée de radicaux outrés, qui n’avaient, dit-on, ni assez d’esprit ni assez de science pour se faire écouter, n’a pas trouvé de sympathie dans le peuple et s’est dissoute.

Il y a plusieurs détails sur lesquels on peut blâmer le gouvernement ; mais qui ne sait qu’il n’existe qu’un seul moyen de ne jamais tomber ? c’est de ne point marcher. Et d’ailleurs quelle faute de calcul, troubler l’État pour de petites choses ! Il faut laisser ces folies aux gens à imagination.

— Mais je sais de science certaine qu’il nous exècre et qu’il a des projets affreux !

— Combien comptez-vous vivre l’un et l’autre ? vingt ans apparemment ; que vous font ses projets, s’il ne peut les mettre à exécution d’ici à vingt ans ! Lui ou vous, vous oublierez votre haine. Quelle source de malheur sot, vingt ans de haine impuissante !

Voici ce que je blâme beaucoup à Genève. Les élections viennent de finir le 16 août (1837). L’on a baissé le cens, sur la demande des gens raisonnables. Eh bien, on voit beaucoup moins d’électeurs aller donner leur vote. L’aristocratie avait

  1. Ils ont réalisé ces projets en 1846. Une révolution éclata à Genève le 5 octobre. Après un combat très-vif, pendant trois jours consécutifs, entre le peuple et la milice, les radicaux remportèrent la victoire la plus complète et s’emparèrent du gouvernement. Cette révolution, à Genève, précéda d’une année la défaite du sonderbund (novembre 1847). (R. C.)