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ŒUVRES DE STENDHAL.

nes à Savone, est réellement incompréhensible, et la plupart sont des palais dont on distingue les colonnes de la mer.

Quel trésor que la liberté ! Gênes a fait tout cela avec un sol qui ne produit pas de quoi nourrir ses habitants pendant quatre mois de l’année. Ce spectacle me jette dans les pensées sérieuses ; cette suite de collines couvertes de palais me rappelle l’Angleterre, petite île brumeuse et infertile, qui, par la même cause, est devenue l’égale de la France. À liberté égale, de l’an 1400 à 1790, la France l’aurait vingt fois conquise.

Je suis ravi que Napoléon n’ait pas compris l’invention du bateau à vapeur que Fulton lui offrait, dit-on ; il eût ôté à la liberté et aux exilés de tous les pays le seul asile qui leur reste.

Passant devant Savone, nous avons entendu le tapage d’une foire de bétail. Tous les quarts d’heure, nous nous trouvons vis-à-vis de quelque gros bourg ; tout cela a l’air extrêmement opulent. Les églises brillent par une architecture hardie, toujours dans le genre palladio, jamais rien de gothique. Le pays est trop riant pour ce genre sombre ; ce serait un contre-sens.

Enfin, nous avons vu Nice ; puis l’embouchure du Var, et tout à coup les villages, les maisons de campagne, l’air de richesse, tout a disparu. La côte de France est nue et stérile.

Rappelez-vous toutes les entraves que M. Turgot a ôtées au commerce. Sur cette triste idée, j’ai dormi quelques heures.

On a vu Amibes, Grasse, je crois ; dans ce moment, nous voyons les mâts des vaisseaux de Toulon, par-dessus l’isthme, assez peu élevé du côté de Marseille.

Rien n’a été plus amusant que le trajet de Gênes ici ; mais tout cet agrément tient au beau temps, qui nous a permis de dîner sur le pont.

Une partie de la société est extrêmement grossière ; nous nous sommes éloignés d’une façon marquée.

Parmi nous, quatre fats, dont un Anglais, deux Russes et un Français, également affectés, étalent leurs petites redingotes de la dernière fraîcheur, et racontent les particularités minutieuses