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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

de leur vie. Eh ! que diable me fait votre vie ! Les commis marchands, grossiers et bruyants, font fuir tout le monde ; enfin, des Italiens, bonnes gens, ont été ma ressource ; j’ai constamment fait la conversation avec eux.

La bonhomie n’existe pour moi qu’en Allemagne et en Italie ; peut-être se trouve-t-elle aussi en Espagne ; mais peut-être aussi la hâblerie, qui leur fait compter quarante-trois batailles rangées[1] dans la pauvre guerre civile qui nous scandalise depuis trois ans, les empêche-t-elle de parler avec vérité et sincérité de quoi que ce soit.


— Toulon, le… 1837.

Je n’ai passé que quelques heures à Marseille ; les lettres que j’ai trouvées m’ont fait venir à Toulon ; la route a pris neuf heures. À Aubagne, j’ai vu le monument de l’abbé Barthélémy, auteur de ce livre niais, tant admiré en France, le Voyage d’Anacharsis. Il y a loin de cette science-là à celle des Letrone et des Arago.

Les paysans d’Aubagne prennent pour un saint l’abbé Coquet, qui se jetait aux genoux de la duchesse de Choiseul pour lui demander un bureau de tabac, et s’agenouillent devant son tombeau.

À Cuges, j’ai examiné la culture du câprier, petite plante basse, assez curieuse ; enfin je suis arrivé aux fameuses gorges d’Ollioules. La route, fort belle, erre parmi des rochers nus et arides, comme tous ceux de Provence ; la pente de ces rochers sur la route est abrupte et souvent de plus de quarante-cinq degrés. Pendant trois quarts de lieue, la route fait sans cesse des détours : elle a constamment la forme d’un S majuscule.

Enfin j’arrive à Toulon, jolie petite ville qui s’est glissée entre une haute montagne et la mer. J’admire une jolie rue pavée en

  1. La Verdad, journal de Madrid. Mai 1837.