Page:Stendhal - Mémoires d’un touriste, I, 1929, éd. Martineau.djvu/114

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— Bourgogne, le 27 avril.

Il y avait beaucoup de monde ce soir chez madame Ranville : on parlait d’histoires d’amour ; et les dames ont tourmenté M. le président N… pour qu’il racontât l’histoire d’un pauvre ouvrier en sabots, nommé Marandon, célèbre dans le pays. M. N… a eu beau protester qu’elle n’avait rien d’extraordinaire, les personnes qui remplissaient le salon aimaient les récits tragiques en ce moment, et il a été forcé de parler. Et moi, en rentrant dans ma chambre, je me donne la peine d’écrire cette histoire. Elle est rigoureusement vraie dans tous ses détails ; mais a-t-elle un autre mérite ? Dans ces moments de philosophie rêveuse où l’esprit, non troublé par aucune passion, jouit avec une sorte de plaisir de sa tranquillité, et réfléchit aux bizarreries du cœur humain, il peut prendre pour base de ses calculs des histoires telles que celle-ci.

Telle est leur unique supériorité sur les romans, qui, arrangés par un artiste en émotions, sont bien autrement intéressants, mais en général ne peuvent servir de base à aucun calcul.

Il y avait naguère à Argenton un jeune ménage de la classe ouvrière, mais qui se