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UN IVROGNE

grand ministre des finances, je crois, dont notre histoire puisse se vanter. Autant que je puis m’en souvenir, il fut cruellement persécuté, exilé et ruiné, et il alla mourir dans l’île de Chio (vers 1456).

Pour couronner mes infortunes, ce soir, après avoir pris mon café de chicorée, je prétendais revenir du café à l’auberge dans l’espérance de souper, je me suis complètement perdu. Il était l’heure indue de dix heures, et il n’y avait absolument personne dans une quantité de petites rues, toutes en lignes courbes et formant des labyrinthes. À chaque instant j’arrivais à une petite place plantée d’arbres. Enfin, j’ai trouvé un ivrogne le plus singulier du monde, profondément ivre, mais qui parlait encore assez bien, et s’offensait de ce que je lui adressais la parole. Il me répondait toujours :

— Hé ! qu’est-ce que ça me fait à moi, que vous soyez arrivé en ville il y a deux heures, et que vous ne sachiez pas où est votre hôtel ?

Il était vraiment drôle, lorsque quelquefois, par charité et avec un dédain profond, il me nommait des rues que je ne connaissais pas. Voyant que je ne bougeais et que je continuais à le questionner :

— Allez par là, m’a-t-il dit en gouail-