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MÉMOIRES D’UN TOURISTE

dispose plus que jamais de toutes les vérités.

La mode pouvait tout aussi du temps de Louis XV ; elle faisait condamner à mort le général Lally, qui n’avait d’autre tort que d’être brusque et peu aimable. De nos jours, elle jette en prison un jeune officier tout aussi coupable que le général Lally[1]. Mais il y avait pourtant, du temps de Louis XV, une difficulté de moins pour arriver à la vérité : on n’avait pas à faire effort pour oublier les jolies phrases d’une vingtaine d’écrivains, gens de beaucoup de talent et payés pour mentir.

À Paris, on est assailli d’idées toutes faites sur tout ; on dirait qu’on veut, bon gré mal gré, nous éviter la peine de penser, et ne nous laisser que le plaisir de bien dire. C’est par un malheur contraire qu’on est vexé en province. On passe à côté d’un site charmant, ou d’une ruine qui peint le moyen âge d’une manière frappante ; eh bien ! il ne se trouve personne pour vous avertir qu’il y a là quelque chose de curieux à voir. Le provincial, si son pays passe pour beau, vante tout également en des termes exagérés et vides

  1. M. de la Roncière. Affaire de Mlle de M[ore]ll. Les officiers qui ont rendu, témoignage contre cet harsouille de Clément de la Roncière ont tous été récompensés par M. le maréchal Soult qui par ce moyen et d’autres a fait l’arrêt. On me dit cela chez le ministre en 1838.(Note manuscrite de l’exemplaire Primoli.)