Page:Stendhal - Mémoires d’un touriste, I, 1929, éd. Martineau.djvu/93

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tout est compris. Une femme d’esprit de ma connaissance va de Nevers à Orléans, une de ses malles n’est qu’à demi pleine ; elle a peur que le linge qu’elle y arrange ne soit gâté par le frottement. Je suggère l’idée lumineuse de faire prendre des rognures de papier chez l’emballeur du coin.

— Halte-là, me dit le mari, on nous donnera un ridicule à Orléans. Comment, dira-t-on, ils n’ont pas calculé le nombre de leurs malles sur les objets à transporter, et les voilà qui nous apportent des rognures de papier à Orléans !

Depuis 1815, et surtout depuis 1830, il n’y a plus de société ; chaque famille vit isolée dans sa maison, comme Robinson dans son île. Une ville est une collection de ménages anachorètes. Dans les familles les plus unies, après une année de cette vie-là, il se trouve que l’on s’est tout dit depuis longtemps ; une pauvre femme fait l’étonnée et sourit pour la cent quarantième fois au conte de la redingote volée sur le lit d’un ami, que son mari se prépare à faire à un étranger.

Je plaignais le greffier du tribunal d’avoir une femme acariâtre.

— Ah ! monsieur, m’a dit naïvement un avocat, au moins quelquefois en rentrant chez lui, après l’audience, il trouve quelque chose pour le distraire.