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pensées

depuis trois ans qu’il se nourrit de lui-même.

Mais il doit être très raisonnable car il doit avoir accoutumé la tête à le servir le mieux possible.

Il me semble que cet amour se fera faire 1o des sacrifices plus réels que l’amour subit, car la tête raisonnant juste pour ses intérêts prendra toujours les chemins les plus sûrs pour le conduire à son but ; 2o des sacrifices plus grands[1].

Mais paraîtront-ils plus grands à l’être passionné ? Non, peut-être même moins grands. Voilà l’effet d’une bonne tête donnée à une passion, les sacrifices lui paraissant moins grands, la représentent moins forte aux yeux du vulgaire (c’est a moi à apporter un personnage froid, sensé, qui fasse apercevoir au spectateur la grandeur du sacrifice, un confident par exemple). Cela serait raisonnable s’il restait encore des sacrifices à faire pour la suite, mais il n’en reste plus. Elle a sacrifié tout ce qui était possible à son amour, il ne reste plus rien à donner.

(Il est évident que ces sacrifices lui paraîtront moins grands parce qu’elle

  1. La bonne tête alors, esclave de la passion, raisonne juste sur tout excepté sur l’objet de la passion, car tel est l’intérêt de cette passion.

    Vous voyez en passant que dès qu’on est passionné on n’est plus entièrement raisonable, et les conséquences.