Page:Stendhal - Promenades dans Rome, tome 1.djvu/80

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qui triomphe de tous les autres souvenirs, que dans Les poèmes de lord Byron. Comme je le lui disais un jour à Venise, en citant le Giaour, il me répondit : « C’est pour cela que vous y voyez des lignes de points. Dès que l’expérience des temps raisonnables de la vie peut attaquer une de mes images, je l’abandonne, je ne veux pas que le lecteur trouve chez moi les mêmes sensations qu’à la Bourse. Mais vous, Français, êtres légers, vous devez à cette disposition, mère de vos défauts et de vos vertus, de retrouver quelquefois le bonheur facile de l’enfance. En Angleterre, la hideuse nécessité du travail apparaît de toutes parts. Dès son entrée dans la vie, le jeune homme, au lieu de lire les poètes ou d’écouter la musique de Mozart, entend la voix de la triste expérience qui lui crie : Travaille dix-huit heures par jour, ou après demain tu expireras de faim dans la rue ! Il faut donc que les images du Giaour puissent braver l’expérience et le souvenir des réalités de la vie. Pendant qu’il lit, le lecteur habite un autre univers ; c’est le bonheur des peuples malheureux… Mais vous, Français, gais comme des enfants, je m’étonne que vous soyez sensibles à ce genre de mérite. Trouvez-vous réellement beau autre chose que ce qui est