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SECONDE PARTIE

Notre histoire, ou plutôt nos mémoires historiques, car nous n’avons pas d’histoire, sont remplis de ces mots naïfs et charmants, et la tragédie romantique seule peut nous les rendre[1]. Savez-vous ce qui arriverait, de l’apparition de Henri IV,

    que cinq cents livres de plomb dans le parc d’artillerie ? — Je lui dis : Il est bien temps de penser à cela maintenant ! faut-il que pour un des masques qui n’est pas prêt le ballet ne se danse pas ? laissez-nous faire, sire, et tout ira bien. — M’en répondez-vous ? me dit-il. — Ce serait témérairement fait à moi, lui répondis-je, de cautionner une chose si douteuse : bien vous réponds-je que nous en viendrons à bout à notre honneur, ou j’y serai mort ou pris. — Alors le cardinal lui dit : Sire, à la mine de M. le maréchal, j’en augure tout bien, soyez-en assuré. Sur ce, je mis pied à terre et donnai le signal du combat qui fut fort et rude, et qui est assez célèbre. * »

    Voilà le caractère français, voilà le ton de notre histoire. Jamais vous ne rendrez cela en vers alexandrins. Vous ferez débiter une belle tirade, pleine de sens, au maréchal de Bassompierre ; une autre tirade, pleine de haute politique, à Louis XIII ; un demi-vers, plein de caractère, au fameux cardinal ; tout cela sera fort beau, si vous voulez, mais ce ne sera pas de l’histoire de France.

    La naïveté gasconne brille dans toute l’histoire de Henri IV, si inconnue de nos jours. C’est dans les moments de grand péril que la plaisanterie française aime à se montrer. Le Français, quand il est dans la fumée des mousquetades, se croit le droit de plaisanter avec son maître ; par une telle familiarité, il montre son rang distingué, et va ensuite se faire tuer tout content.

    Il est plaisant, peut-être, que nous ayons choisi un masque qui cache précisément ce trait le plus national et peut-être le plus aimable de notre caractère. L’emphase de l’alexandrin convient à des protestants, à des Anglais, même un peu aux Romains mais non, certes, aux compagnons de Henri IV et de François Ier. (Note de l’édition de 1854.)

    * Mémoires de Bassompierre, 3e partie, page 192, édition Foucauld.

  1. Cherchez dans le second volume des Chroniques de Froissart, publiées par M. Buchon, la narration du siége