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RACINE ET SHAKSPEARE

croyaient leur âme fermée à la poésie, respirent ; pour la trop aimer, ils croyaient ne pas l’aimer. C’est ainsi qu’un jeune homme à qui le ciel a donné quelque délicatesse d’âme, si le hasard le fait sous-lieutenant et le jette à sa garnison, dans la société de certaines femmes, croit de bonne foi, en voyant les succès de ses camarades et le genre de leurs plaisirs, être insensible à l’amour. Un jour enfin le hasard le présente à une femme simple, naturelle, honnête, digne d’être aimée, et il sent qu’il a un cœur.

Beaucoup de gens âgés sont classiques de bonne foi : d’abord ils ne comprennent pas le mot Romantique ; tout ce qui est lugubre et niais, comme la séduction d’Éloa par Satan, ils le croient romantique sur la foi des poëtes-associés des bonnes-lettres. Les contemporains de Laharpe admirent le ton lugubre et lent que Talma porte encore trop souvent dans la tirade ; ce chant lamentable et monotone, ils l’appellent la perfection du tragique français[1]. Ils disent, et c’est un pauvre argument : « L’introduction de la prose dans la tragédie, la permission de durer plusieurs mois et de s’écarter à quelques lieues, est inutile à nos plaisirs ; car l’on a fait et

  1. Journal des Débats du 11 mai 1824.