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RACINE ET SHAKSPEARE

c’est la passion elle-même dont nous avons soif. C’est donc très-probablement par une peinture exacte et enflammée du cœur humain que le dix-neuvième siècle se distinguera de tout ce qui l’a précédé.

Je sais que cette théorie paraît obscure à la partie la plus âgée du théâtre italien. Je le crois bien, le public sait par cœur Virgile, Racine, Alfieri, et à peine s’il connaît de nom les Richard III, les Othello, les Hamlet, les Wallenstein, les Conjuration de Fiesque, les Philippe II de Shakspeare et de Schiller. Les aveugles adversaires de la poésie romantique profitent, avec un orgueil assez sot, de cet avantage momentané. Il fait bon de plaider devant des juges qui ne peuvent encore entendre qu’une des parties. Mais l’impulsion est donnée, la vérité les emportera, et nous verrons naître la tragédie italienne.

Ce beau jour, nous proscrirons également, je le répète, de nos théâtres régénérés, la tragédie de Racine et la tragédie de Shakspeare. Ce jour-là nous reconnaîtrons qu’Alfieri est sublime, mais qu’au lieu de lire dans le cœur de sa nation, il a trop imité les Français, que, pourtant, il se vantait tant de haïr. Ce jour-là nous verrons que nous parviendrons enfin à peindre les âmes italiennes en étudiant profondément le moyen âge, qui a tant d’influence sur nous, et dont nous ne sommes qu’une continuation, et en exploitant le moyen âge à la manière de Shakspeare et de Schiller.

Je le répète : la poésie romantique est