Page:Stendhal - Racine et Shakespeare.djvu/271

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
234
RACINE ET SHAKSPEARE

outre qu’il était le plus grand géomètre depuis Newton, il avait encore infiniment d’esprit naturel, il s’est donné garde d’imiter personne. Il a inventé en mathématiques une phrase éminemment naturelle et dans la partie de son style notée avec les mots ordinaires de la langue, il a suivi constamment l’ordre le plus naturel possible.

Les ouvrages que chacun de nous lit le plus souvent en 1818 sont les journaux. Ils auront une grande influence dans la langue ; ils ont pour eux la plus grande de toutes les forces, la force de l’habitude. Cette influence sera heureuse, car, grâce au ciel, les journaux n’imitent pas Cicéron, et, malgré les efforts des rédacteurs qui prétendent au cruscantisme, ils sont écrits davantage comme on parle.

À propos des effets du style quand il n’est pas d’imitation et qu’il est fils de l’âme, J.-J. Rousseau raconte une anecdote que nos pédants n’ont, je pense, jamais renouvelée en Italie, et cependant nos âmes sentent l’amour d’une manière bien plus profonde que les âmes françaises[1]

Achevons la triste énumération des dangers que nous courons.

Parmi nous, et je demande à chacun de mettre franchement la main sur la conscience, parmi nous un homme qui écrit une lettre ouvre son dictionnaire, et un

  1. Un renvoi du manuscrit indique que Stendhal faisait allusion au passage des Confessions où la Princesse de Talmont passe la nuit à lire la Julie au lieu d’aller au bal. N. D. L. É.