Page:Stendhal - Racine et Shakespeare.djvu/336

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
299
DE QUELQUES OBJECTIONS

la galerie obscure où elle choisit de vivre. Elle s’y amuse probablement : elle y fait l’amour, elle y vit.

Quant à Alceste, le misanthrope, sa position est différente. Il est amoureux de Célimène, et il prétend lui plaire. La taupe aurait tort de se tenir dans son trou si elle avait entrepris de faire sa cour au rossignol.

La brillante Célimène, jeune veuve de vingt ans, s’amuse aux dépens des ridicules de ses amis ; mais on n’a garde de toucher dans son salon à ce qui est odieux. Alceste n’a point cette prudence, et voilà justement ce qui fait le ridicule particulier du pauvre Alceste. Sa manie de se jeter sur ce qui paraît odieux, son talent pour le raisonnement juste et serré, sa probité sévère, tout le mènerait bien vite à la politique, ou, ce qui est bien pis, à une philosophie séditieuse et malsonnante. Dès lors, le salon de Célimène deviendrait compromettant ; bientôt ce serait un désert ; et que faire, pour une coquette, au milieu d’un salon désert ?

C’est par là que le genre d’esprit d’Alceste est de mauvais goût dans ce salon. C’est là ce que Philinte aurait dû lui dire. Le devoir de cet ami sage était d’opposer la passion de son ami à sa manie raisonnante. Molière le voyait mieux que nous ; mais l’évidence et l’à-propos du raisonnement de Philinte eût pu coûter au poëte la faveur du grand roi.

Le grand roi dut trouver de fort bon