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RACINE ET SHAKSPEARE

ments de notre histoire de France, au lieu d’hésiter et d’être obligé de temps en temps d’ouvrir l’atlas de Lesage, toutes nos catastrophes nationales, seraient gravées en traits de sang dans notre mémoire. Ce mot traits de sang nous avertit du grand obstacle qui va naître au genre romantique ; nos annales sont tellement dégoûtantes de sang ; nos meilleurs princes ont été si barbares, que notre histoire se refusera à chaque instant à être présentée avec naïveté. Comment montrer François Ier faisant brûler Dolet, qui passait pour son fils naturel, parce qu’il était soupçonné d’hérésie ? — Quel est le roi, en France, qui voudra laisser avilir ainsi ses prédécesseurs, et par là l’autorité qu’il tient d’eux[1] ? Il vaut bien mieux tout cacher sous la pompe du vers alexandrin. Il faut un casque et une visière baissée à l’homme dont la peau est hideusement sillonnée par des taches de naissance. Telle est la raison qui fera que les rois encourageront leurs académies à injurier les romantiques.

Ceux-ci devaient faire des concessions, user d’adresse, ne dire qu’une partie de la vérité, surtout ménager les vanités des petits hommes vivants, toutes choses bonnes au succès peut-être ; mais ce serait,

  1. Philippe II envoie le duc d’Albe conquérir la Hollande… La ville de Naarden refuse de se rendre ; le duc fait appeler ses troupes sous les murs de cette malheureuse ville ; elle demande à capituler… ce trait est horrible. C’est par égard que je n’ai pas pris une anecdote toute semblable dans l’histoire de Catherine de Médicis. (Watson, liv. XII.)