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RACINE ET SHAKSPEARE

suranné, il faut qu’un usage nouveau soit bien avéré et bien incontestable pour qu’ils se déterminent à la douleur de lui donner place en leur calepin. C’est la vertu d’un secrétaire, et je les en estime. »

Il ne faut pas innover dans la langue, parce que la langue est une chose de convention. – Cette chose que voilà s’appelle une table ; la belle invention si je me mets à l’appeler une asphocèle. Ce petit oiseau qui sautille sous ce toit s’appelle une mésange ; sera-t-il bien agréable de l’appeler un noras ?

Il est des tours d’une langue comme de ses mots. Je trouve dans la Bruyère et Pascal tel tour de phrase pour exprimer l’étonnement et le mépris, mélangés ensemble par portions égales. À quoi bon inventer un tour nouveau ? Laissons cette gloire à madame de Staël, à MM. de Chateaubriand, de Marchangy, vicomte d’Arlincourt, etc., etc. Il est sûr qu’il est plus agréable et plus vite fait d’inventer un tour que de le chercher péniblement au fond d’une lettre provinciale ou d’une harangue de Patru.

Je crains que la postérité la plus reculée, lorsqu’elle s’occupera de ces grands écrivains, ne les ravale au rang des Sénèque ou des Lucain, que nous comprenons moins facilement que Cicéron et Virgile. Il est vrai que la postérité sera récompensée de sa peine par la sublimité des pensées. Peut-être cependant lui échappera-t-il le souhait que ces grands écrivains, pensant