Page:Stendhal - Racine et Shakespeare.djvu/67

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
30
RACINE ET SHAKSPEARE

Il n’y a plus de rire si le désavantage de l’homme aux dépens duquel on prétendait nous égayer nous fait songer, dès le premier moment, que nous aussi nous pouvons rencontrer le malheur.

Que le beau jeune homme qui allait au bal, et qui est tombé dans un tas de boue, ait la malice, en se relevant, de traîner la jambe, et de faire soupçonner qu’il s’est blessé dangereusement, en un clin d’œil le rire cesse, et fait place à la terreur.

C’est tout simple, il n’y a plus jouissance de notre supériorité, il y a au contraire vue du malheur pour nous : en descendant de voiture, je puis aussi me casser la jambe.

Une plaisanterie douce fait rire aux dépens du plaisanté ; une plaisanterie trop bonne ne fait plus rire : on frémit en songeant à l’affreux malheur du plaisanté.

Voilà deux cents ans que l’on fait des plaisanteries en France ; il faut donc que la plaisanterie soit très fine, autrement on l’entend dès le premier mot, partant plus d’imprévu.

Autre chose : il faut que j’accorde un certain degré d’estime à la personne aux dépens de laquelle on prétend me faire rire. Je prise beaucoup le talent de M. Picard ; cependant, dans plusieurs de ses comédies, les personnages destinés à