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Page:Stendhal - Romans et Nouvelles, I, 1928, éd. Martineau.djvu/179

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LE ROSE ET LE VERT

être comprise et obéie en un clin d’œil. Toutes les choses vulgaires de la vie étaient indifférentes pour cette âme élevée et à laquelle jusqu’ici rien n’avait donné d’émotion profonde.

À vrai dire, ni elle ni personne ne savait ce qu’elle pourrait être un jour si enfin elle arrivait à désirer ou à craindre quelque chose. Jusqu’ici son âme ne daignait pas s’occuper des événements communs de la journée. (Elle suivait toujours et sans discussion ce qui lui semblait juste.) Par habitude déférente, tendre amitié, elle en laissait la direction à sa mère ou même à sa cousine de Strombek. Cette âme élevée ne prenait point ombrage de l’autorité de sa mère.

— Un jour, oui, je serai esclave et ce sera quand j’aurai choisi un mari. Combien il est cruel pour moi d’avoir perdu mon père, cet homme si sage. D’abord j’aurais été moins riche, en second lieu son autorité eût servi de contrepoids à celle d’un mari. Quelle ne sera pas l’influence de celui-ci sur deux femmes faibles et dont probablement l’une l’aimera d’amour !

Jusqu’ici, excepté la mort de son père et son amitié passionnée pour sa mère, son âme n’avait réellement senti, éprouvé de sensation profonde, que par suite des événements que lui figurait son imagination.