Page:Stendhal - Romans et Nouvelles, I, 1928, éd. Martineau.djvu/251

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vivement de partir au premier jour pour Kœnigsberg. Alfred baissait les yeux et ne répondait pas. Enfin il les leva vivement, et son regard exprimait le soupçon le plus pénible, mais non l’amour. Mina fut atterrée.

— Dites-moi une chose, Mina. La nuit où je surpris M. de Ruppert chez ma femme, aviez-vous connaissance des projets du comte ? En un mot, étiez-vous d’accord avec lui ?

— Oui, répondit Mina avec fermeté ! Madame de Larçay n’a jamais songé au comte ; j’ai cru que vous m’apparteniez parce que je vous aimais. Les deux lettres anonymes sont de moi.

— Ce trait est infâme, reprit Alfred froidement. L’illusion cesse, je vais rejoindre ma femme. Je vous plains et ne vous aime plus.

Il y avait de l’amour-propre piqué dans le ton de sa voix. Il sortit.

« Voilà à quoi les grandes âmes sont exposées, mais elles ont leur ressource», se dit Mina en se mettant à la fenêtre et suivant des yeux son amant jusqu’au bout de la rue. Quand il eut disparu, elle alla dans la chambre d’Alfred et se tua d’un coup de pistolet dans le cœur. Sa vie fut-elle un faux calcul ? Son bonheur avait duré huit mois. C’était une âme trop ardente pour se contenter du réel de la vie.