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(FILIPPO EBREO)



J
’étais alors un fort bel homme…

— Mais vous êtes encore remarquablement bien…

— Quelle différence ! J’ai quarante-cinq ans : alors je n’en avais que trente ; c’était en 1814. Je n’avais pour moi qu’une taille avantageuse et une rare beauté. D’ailleurs, j’étais juif, méprisé de vous autres chrétiens, et même des juifs, car j’avais été longtemps excessivement pauvre.

— On a le plus grand tort de mépriser.

— Ne vous mettez pas en frais de phrases polies : je me sens ce soir disposé à parler, et, pour moi, je ne parle pas ou je suis sincère. Notre vaisseau chemine bien, la brise est charmante ; demain matin nous serons à Venise… Mais, pour revenir à l’histoire de la malédiction dont nous parlions et de mon voyage en France, j’aimais bien l’argent en 1814 ; c’est la seule passion que je me soisjamais connue.

Je passais toute la journée dans les rues