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LE ROSE ET LE VERT

accablait de questions le trop heureux bavard von Landek. Les plus jolies femmes, et il y en a de charmantes en ce pays-là, voulaient savoir comment était fait le boulevard des Italiens, ce centre du monde ; de quelle façon les Tuileries regardent le palais du Louvre, si la Seine porte des bâtiments à voiles, comme la Vistule, et surtout si pour aller faire une visite le soir, à une femme, il faut absolument avoir reçu d’elle le matin une petite carte annonçant qu’elle sera chez elle ce soir-là.

Le général quoique parlant sans cesse ne mentait point, c’était un bavard à l’allemande. Il ne cherchait pas tant à faire effet sur ses auditeurs qu’à se donner le plaisir poétique de se souvenir avec éloquence des belles choses qu’il avait vues autrefois dans ses voyages. Cette habitude de ne jamais mentir pour faire effet préservait ses récits de la monotonie si souvent reprochée à nos gens d’esprit, et lui donnait un genre d’esprit.

Il était trois heures du matin, le bal du banquier Pierre Wanghen, le plus riche de la ville, était encombré par une foule énorme ; il n’y avait aucune place pour danser, et cependant trois cents personnes au moins valsaient en même temps. La vaste salle, éclairée de mille