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ROMANS ET NOUVELLES

bougies et ornée de deux cents petits miroirs, présentait partout l'image d'une gaîté franche et bonne. Ces gens-là étaient heureux et pour le moment ne songeaient pas uniquement comme chez nous à l'effet qu'ilsproduisaient sur les autres. Il est vrai que les plaisirs de la musique se mêlaient à l'entraînement de la danse : le fameux Hartberg, la première clarinette du monde, avait consenti à jouer quelques valses. Ce grand artiste daignait descendre des hauteurs sublimes du concerto ennuyeux. Pierre Wanghen avait presque promis, à l'intercession de sa fille Mina, de lui prêter les cent louis nécessaires pour aller à Paris se faire une réputation, car dans les arts on peut bien avoir du mérite ailleurs, mais ce n'est qu'à Paris qu'on se fait de la gloire. Tout cela uniquement parce qu'à Paris l'on dit et l'on imprime ce qu'on veut[1].

Mina Wanghen, l'unique héritière de Pierre et la plus jolie fille de Kœnigsberg comme lui en était le plus riche banquier, avait été priée à danser par huit ou dix jeunes gens d'une tournure parfaite, à l'allemande s'entend, c'est-à-dire avec de grands cheveux blonds, trop longs, et un regard attendri ou ter-

  1. Cette dernière phrase est barrée d’un trait de crayon et Stendhal a écrit : Pédant. N. D. L. E.