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LE PHILTRE

siez, je suis parvenue à m’échapper. C’est celle de Mayral.

» — Croiras-tu en effet que je t’aime ? lui dis-je en l’abordant.

» J’étais ivre de bonheur. Il me sembla dès le premier moment plus étonné qu’amoureux.

» Le lendemain matin, quand je lui montrai mes diamants et mon or, il se décida à quitter sa troupe, et à s’enfuir avec moi en Espagne. Mais, grand Dieu ! à son ignorance de certains usages de mon pays, je crus m’apercevoir qu’il n’était pas Espagnol.

» — Probablement, me dis-je, je viens d’unir à jamais ma destinée à celle d’un simple écuyer voltigeur ! Eh ! que m’importe, s’il m’aime ? Moi, je sens qu’il est le maître de ma vie. Je serai sa servante, sa femme fidèle ; il continuera son métier. Je suis jeune ; s’il le faut, j’apprendrai à monter à cheval. Si nous tombons dans la misère dans notre vieillesse, eh bien, dans vingt ans, je mourrai de misère à ses côtés. Je ne serai pas à plaindre, j’aurai vécu heureuse !

» Que de folie ! que de perversité ! » s’écria Léonor en s’interrompant.

— Il faut avouer, dit Liéven, que vous mouriez d’ennui avec votre vieux mari, qui ne voulait vous mener nulle part. Ceci