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ROMANS ET NOUVELLES

Le chevalier parvint jusqu’au porche de Saint-Michel ; là il s’assit.

« Me voici dans Bordeaux. Que répondrai-je », se dit-il, « si le guet vient à m’interroger ? Pour peu que ces gens-là soient moins pris de vin qu’à l’ordinaire, il n’y a pas d’apparence de leur dire que je suis un marchand de vin ; cette réponse pouvait passer tout au plus dans le voisinage des charrettes chargées de barriques. J’aurais dû, avant de quitter mes chevaux, prendre un des habits de mon domestique ; mais ainsi vêtu je ne puis pas être autre chose qu’un gentilhomme ; et si je suis un gentilhomme, j’attire l’attention de Rochegude qui me fourre au château Trompette, et sous deux mois ma tête tombe en place publique, ici ou à Rouen. Mon cousin, le marquis de Miossens, qui est si prudent voudra-t-il me recevoir ? S’il ne sait pas mon duel de Rouen. il voudra donner des fêtes pour célébrer ma bienvenue ; il dira à tous ces Gascons que je suis un favori du Cardinal. S’il sait que j’ai pu déplaire, il n’aura de paix avec lui-même que lorsqu’il aura envoyé son secrétaire me dénoncer au Rochegude. Il faudrait pouvoir parvenir à la bonne marquise à l’insu de son mari ; mais elle a des amants, et il est jaloux au point d’avoir, dit-on, fait venir des duègnes