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Page:Stendhal - Romans et Nouvelles, Lévy, 1854.djvu/331

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le cœur humain tel qu’il est, avait contribué à former un caractère inflexible, froid, positif, assez enjoué, mais dénué d’imagination. Ces caractères produisent un grand effet sur les âmes qui ne sont qu’imagination. Mina fut étonnée qu’un Français pût être aussi simple.

Le soir, quand il fut parti, Mina se sentit comme séparée d’un ami qui, depuis des années, aurait su tous ses secrets. Tout lui sembla sec et importun, même l’amitié si tendre de Mme de Cely. Mina n’avait eu besoin de déguiser aucune de ses pensées auprès de son nouvel ami. La crainte de la petite ironie française ne l’avait point obligée, à chaque instant, à jeter un voile sur sa pensée allemande si pleine de franchise. M. de Larçay la dispensait d’une foule de petits mots et de petits gestes demandés par l’élégance. Cela le vieillissait de huit ou dix ans ; mais, par cela même, il occupa toute la pensée de Mina pendant toute la première heure qui suivit son départ.

Le lendemain, elle était obligée de faire un effort pour écouler même Mme de Cely ; tout lui semblait froid et méchant. Mina ne regardait plus comme une chimère, qu’il fallait oublier, l’espoir de trouver un cœur franc et sincère, qui ne cherchât pas toujours le motif d’une plaisanterie dans la remarque la plus simple ; elle fut rêveuse toute la journée. Le soir, Mme de Cely nomma M. de Larçay ; Mina tressaillit et se leva, comme si on l’eût appelée ; elle rougit beaucoup et eut bien de la peine à expliquer ce mouvement singulier. Dans son trouble, elle ne put pas se déguiser plus longtemps à elle-même ce qu’il lui importait de cacher aux autres. Elle s’enfuit dans sa chambre. — Je suis folle, se dit-elle. A cet instant, commença son malheur : il fit des pas de géant ; en peu d’instans, elle en fut à avoir des remords. — J’aime d’amour, et j’aime un homme marié ! — Tel fut le remords qui l’agita toute la nuit.