Page:Stendhal - Romans et Nouvelles, Lévy, 1854.djvu/360

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ne m’avez-vous pas reconnue ? Ah ! c’est que l’amour est aveugle, ajouta-t-elle en riant.

Quelque bonheur que goûtât Alfred à pouvoir estimer Mina, celui de Mina fut plus intime encore. Il manquait à son bonheur de pouvoir ne rien cacher à son ami. Dès qu’on aime, celui qui trompe est malheureux.

Cependant Mlle de Wangel eût bien fait de ne pas dire son nom à M. de Larçay. Au bout de quelques mois, Mina remarqua un fonds de mélancolie chez Alfred. Ils étaient venus passer l’hiver à Naples avec un passeport qui les nommait mari et femme. Mina ne lui déguisait aucune de ses pensées ; le génie de Mina faisait peur au sien. Elle se figura qu’il regrettait Paris ; elle le conjura à genoux d’y aller passer un mois. Il lui jura qu’il ne le désirait pas. Sa mélancolie continuait. — Je mets à un grand hasard le bonheur de ma vie, lui dit un jour Mina ; mais la mélancolie où je vous vois est plus forte que mes résolutions. — Alfred ne comprenait pas trop ce qu’elle voulait dire, mais rien n’égala son ivresse quand, après midi, Mina lui dit : — Menez-moi à Torre del Greco.

Elle crut avoir deviné la cause du fonds de tristesse qu’elle avait remarqué chez Alfred, depuis qu’elle était toute à lui, car il était parfaitement heureux. Folle de bonheur et d’amour, Mina oublia toutes ses idées. — La mort et mille morts arriveraient demain, se disait-elle, que ce n’est pas trop pour acheter ce qui n’arrive depuis le jour où Alfred s’est battu. — Elle trouvait un bonheur délicieux à faire tout ce que désirait Alfred. Exaltée par ce bonheur, elle n’eut pas la prudence de jeter un voile sur les fortes pensées qui faisaient l’essence de son caractère. Sa manière de chercher le bonheur, non-seulement devait paraître singulière à une âme vulgaire, mais encore la choquer. Elle avait eu soin jusque-là de ménager dans M. de Larçay ce qu’elle appelait, les préjugés français ;