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Page:Stendhal - Romans et Nouvelles, Lévy, 1854.djvu/361

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elle avait besoin de s’expliquer par la différence de nation ce qu’elle était obligée de ne pas admirer en lui : ici Mina sentit le désavantage de l’éducation forte que lui avait donnée son père, cette éducation pouvait facilement la rendre odieuse.

Dans son ravissement, elle avait l’imprudence de penser tout haut avec Alfred. Heureux qui, arrivé à ce période de l’amour, fait pitié à ce qu’il aime et non pas envie ! Elle était tellement folle, son amant était tellement à ses yeux le type de tout ce qu’il y avait de noble, de beau, d’aimable et d’adorable au monde, que, quand elle l’aurait voulu, elle n’aurait pas eu le courage de lui dérober aucune de ses pensées. Lui cacher la funeste intrigue qui avait amené les événemens de la nuit d’Aix était déjà depuis longtemps pour elle un effort presque au-dessus de ses facultés.

Du moment où l’ivresse des sens ôta à Mina la force de n’être pas d’une franchise complète envers M. de Larçay, ses rares qualités se tournèrent contre elle. Mina le plaisantait sur ce fonds de tristesse qu’elle observait chez lui. L’amour qu’il lui inspirait se porta bientôt au dernier degré de folie. « Que je suis folle de m’inquiéter ! se dit-elle enfin. C’est que j’aime plus que lui. Folle que je suis, de me tourmenter d’une chose qui se rencontre toujours dans le plus vif des bonheurs qu’il y ait sur la terre ! J’ai d’ailleurs le malheur d’avoir le caractère plus inquiet que lui, et enfin, Dieu est juste, ajouta-t-elle en soupirant (car le remords venait souvent troubler son bonheur depuis qu’il était extrême), j’ai une grande faute à me reprocher : la nuit d’Aix pèse sur ma vie. »

Mina s’accoutuma à l’idée qu’Alfred était destiné par sa nature à aimer moins passionnément qu’elle. « Fût-il moins tendre encore, se disait-elle, mon sort est de l’adorer. Je suis bien heureuse qu’il ne soit pas un homme infâme ; je sens trop que les crimes ne me coûteraient rien, s’il voulait m’y entraîner. »