Page:Stendhal - Rome, Naples et Florence, II, 1927, éd. Martineau.djvu/39

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l’ami qui me menait dans le monde m’avait quitté pour aller causer avec sa maîtresse, la ressource ordinaire de mon désœuvrement était de m’asseoir près d’un beau tableau, que je me mettais à regarder comme si j’eusse été dans un musée. Cette occupation innocente m’a un peu lié avec un jeune homme de vingt-six ans, de la plus noble figure : c’est l’image de la force et du courage, et il a des yeux qui peignent le malheur le plus tendre. Il y a trois mois que le comte Albareze eut des doutes sur la fidélité de sa maîtresse, qui, vivant d’ailleurs fort bien avec lui, se rendait tous les jeudis, lui dit un espion, dans une certaine maison écartée. Albareze feint de partir pour la campagne le dimanche, et va se placer au premier étage de cette maison, dans une chambre inhabitée dont il ouvre la porte avec un crochet. Là il se tient tranquille quatre jours, sans sortir, sans ouvrir la porte, sans faire le moindre bruit, vivant frugalement de quelques provisions apportées dans sa poche, lisant Pétrarque et faisant des sonnets. Il observe, sans être soupçonné, tous les habitants de la maison. Enfin, le jeudi, à onze heures du matin, il a la douleur de voir arriver sa maîtresse, qui monte au second étage ; lui, sort de sa cachette, monte après elle, et arrive à la porte de la chambre où elle venait d’entrer.