C’est même plus que du plaisir, c’est de la passion : à mesure que les souvenirs reviennent en foule, l’écriture se précipite, de mauvaise devient parfois énigmatique, surtout lorsque Beyle, emporté par son sujet, laisse tomber le jour et trace dans l’obscurité des signes presque indéchiffrables.
Il est facile de constater, d’ailleurs, que la passion l'entraîne. Au début, Stendhal est résolu à produire une œuvre bien écrite et bien composée. Puis, le chaos de ses souvenirs l’embarrasse, le flot des pensées fait bouillonner tumultueusement le style, qui se charge d’incidentes, de parenthèses, de réflexions qui n’ont rien de commun avec le sujet, si bien que cet aveu échappe à l’auteur : « En relisant, il faudra effacer, ou mettre à une autre place, la moitié de ce manuscrit. »
La Vie de Henri Brulard, en effet, telle que nous la possédons, n’est qu’une ébauche, et une ébauche inachevée. On dirait d’un livre écrit en voyage ; et, de fait, c’est un peu cela : Beyle résidait le moins possible au siège de son consulat, et passait le plus clair de son temps à Rome ; son manuscrit fit donc plusieurs fois le trajet de Rome à Cività-Vecchia. Et puis, le nerveux écrivain accuse d’autres causes : les devoirs de sa charge de consul, qu’il appelle dédaigneusement le « métier », ensuite le froid de l’hiver, et surtout l’ennui qui l’accable au milieu des « sauvages » d’Italie. Lui-même ex-