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Page:Stendhal - Vie de Henri Brulard, t1, 1913, éd. Debraye.djvu/90

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STENDHAL

pour ces promenades. Là fit naufrage la très petite amitié que j’avais pour mon père.

Dans le fait, j’ai été exclusivement élevé par mon excellent grand-père, M. Henri Gagnon. Cet homme rare avait fait un pèlerinage à Ferney pour voir Voltaire et en avait été reçu avec distinction. Il avait un petit buste de Voltaire, gros comme le poing, monté sur un pied de bois d’ébène de six pouces de haut. (C’était un singulier goût, mais les beaux-arts n’étaient le fort ni de Voltaire, ni de mon excellent grand-père.)

Ce buste était placé devant le bureau où il écrivait ; son cabinet était au fond d’un très vaste appartement donnant sur une terrasse élégante ornée de fleurs*. C’était pour moi une rare faveur d’y être admis, et une plus rare de voir et de toucher le buste de Voltaire.

Et avec tout cela, du plus loin que je me souvienne, les écrits de Voltaire m’ont toujours souverainement déplu, ils me semblaient un enfantillage. Je puis dire que rien de ce grand homme ne m’a jamais plu. Je ne pouvais voir alors qu’il était le législateur et l’apôtre de la France, son Martin Luther.

M. Henri Gagnon portait une perruque poudrée, ronde, à trois rangs de boucles, parce qu’il était docteur en médecine, et docteur à la mode parmi les dames, accusé même d’avoir été l’amant de plusieurs, entre autres madame Teisseire, l’une des