Page:Stendhal - Vie de Napoléon.djvu/221

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telle passion, que l’écouter et en jouir devenait pour lui le plus occupant des travaux. Ainsi, fou de plaisir après avoir entendu Crescentini chanter Roméo et Juliette et l’air Ombra adorata, aspetta, il ne sortit de son transport que pour lui envoyer la couronne de fer. De même quelquefois, quand Talma jouait Corneille, de même quand Napoléon lisait Ossian, de même quand il faisait jouer quelques vieilles contredanses aux soirées de la princesse Pauline ou de la reine Hortense et qu’il se mettait à danser de tout son cœur. Jamais le sang-froid nécessaire pour être aimable ; en un mot, Napoléon ne pouvait pas être Louis XV.

Comme les arts ont fait d’immenses progrès pendant la Révolution et depuis la chute de la fausse politesse, et que l’empereur avait fort bon goût et voulait qu’on mangeât tout l’argent qu’il distribuait en appointements ou gratifications, les fêtes qu’on donnait aux Tuileries ou à Saint-Cloud étaient charmantes. Il n’y manquait que des gens amusables. Il n’y avait pas moyen d’avoir de l’aisance et de l’abandon ; on était trop dévoré par l’ambition, par la crainte ou l’espérance d’un succès. Sous Louis XV, la carrière d’un homme était faite d’avance ; il fallait de l’extraordinaire pour y déran-