Page:Stendhal - Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, 1928, éd. Martineau.djvu/222

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il n’y a plus de fil d’or sur la bobine, et ce spectateur-là s’ennuiera bientôt. Ce sont les souvenirs d’une âme passionnée qui garnissent plus ou moins la bobine. À quoi tout le talent de Mozart lui sert-il, s’il a affaire à des bobines qui ne soient pas garnies ?

« Menez Turcaret au Matrimonio segreto quoiqu’il y ait beaucoup d’or sur son habit, il n’y a guère de fil d’or sur la petite bobine à laquelle nous comparons son âme ; ce fil sera bientôt épuisé, et Turcaret s’ennuiera des gémissements de Carolina : c’est tout simple. Que trouverait-il dans ses souvenirs ? quelles sont les émotions les plus vives qu’il ait senties ? Le chagrin de se trouver compris pour une grosse somme dans quelque banqueroute ; le malheur de voir le beau vernis de sa berline écorché indignement par une charrette de roulier : c’est à la peinture de tels malheurs qu’il serait sensible ; du reste, il a bien dîné, il est tout joyeux, il lui faut des contredanses : sa pauvre femme, au contraire, qui est à côté de lui, et qui a perdu un amant adoré dans la dernière campagne, arrive au spectacle sans plaisir ; elle cède à un devoir de convenance ; elle est pâle, son œil ne se fixe sur rien avec intérêt : elle n’en prend pas d’abord un fort grand à la situation de Carolina.