Page:Stendhal - Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, 1928, éd. Martineau.djvu/389

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Ce bonheur est réel, son existence est historique. Pour trouver un bonheur égal, il faut sortir de la vie réelle ; il faut avoir recours aux situations de roman ; il faut se figurer le baron d’Étange prenant Saint-Preux par la main, et lui accordant sa fille.

On voit qu’avec sept ou huit petits vers que le poète fournit au musicien, après avoir amené et fait comprendre une situation intéressante, celui-ci peut attendrir toute une foule de spectateurs. Il exprimera non-seulement le principal mouvement de la passion du personnage, mais quelques-unes des cent manières dont son cœur change en parlant à ce qu’il aime. Quel homme, en se séparant d’une maîtresse chérie, ne lui répète souvent : Adieu, adieu ! C’est le même mot dont il se sert ; mais quel est l’être assez malheureux pour ne pas se souvenir qu’à chaque fois ce nom est prononcé d’une manière différente ? C’est que, dans ces instants de peine et de bonheur, la situation du cœur change à

    qu’un jour ses lettres seraient imprimées, écrivait à son ami,le 29 août 1774 :

    « Est-ce que je ne vous aurais pas dit que j’ai entendu chanter Millico ? C’est un italien. Jamais, non jamais on n’a réuni la perfection du chant avec tant de sensibilité et d’expression. Quelles larmes il fait verser ! quel trouble il porte dans l’âme ! j’étais bouleversée : jamais rien ne m’a laissé une impression plus profonde, plus sensible, plus déchirante même ; mais j’aurais voulu l’entendre jusqu’à en mourir. » (Lettres de mademoiselle de l’Espinasse, t. I, p. 185.)