Page:Stendhal - Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, 1928, éd. Martineau.djvu/390

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chaque seconde. Il est tout simple que nos langues vulgaires, qui ne sont qu’une suite de signes convenus pour exprimer des choses généralement connues, n’aient point de signe pour exprimer de tels mouvements, que vingt personnes peut-être, sur mille, ont éprouvés. Les âmes sensibles ne pouvaient donc se communiquer leurs impressions et les peindre. Sept ou huit hommes de génie trouvèrent en Italie, il y a près d’un siècle, cette langue qui leur manquait. Mais elle a le défaut d’être inintelligible pour les neuf cent quatre-vingts personnes sur mille qui n’ont jamais senti les choses qu’elle peint. Ces gens-là sont devant Pergolèse comme nous devant un sauvage Miâmi, qui nous nommerait, en sa langue sauvage, un arbre particulier à l’Amérique, qui croit dans les vastes forêts qu’il parcourt en chassant, et que nous n’avons jamais vu. C’est un simple bruit que ce que nous entendons, et il faut convenir que si le sauvage prolonge son discours, ce bruit-là nous ennuiera bientôt.

Il faut pousser la franchise plus loin. Si, en bâillant, nous voyons, chez les gens assis à côté de nous, les symptômes du plaisir le plus vif, nous chercherons à déprimer ce bonheur insolent dont nous sommes privés ; et, tout naturellement, les jugeant d’après nous, nous leur nierons leur sensa-