Page:Stendhal - Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, Lévy, 1854.djvu/34

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joindrai une anecdote qui peut servir à la fois de modèle dans l’art de s’extasier, et d’excuse si quelque âme froide cherche à employer l’ironie, et à faire de mauvaises plaisanteries.

On représentait, sur un des premiers théâtres de Rome, l’Artaxerce de Métastase, musique de Bertoni ; l’inimitable Pachiarolli[1] si je ne me trompe, chantait le rôle d’Arbace : à la troisième représentation, arrivé à la fameuse scène du jugement, où le compositeur avait placé quelques mesures instrumentales après les paroles

Eppur sono inocente,


la beauté de la situation, la musique, l’expression du chanteur, avaient tellement ravi les musiciens, que Pachiarotti s’aperçoit qu’après qu’il a prononcé ces paroles, l’orchestre ne fait pas son trait. Impatienté, il baisse les yeux vers le chef d’orchestre. « Eh bien ! que faites-vous donc ? » Celui-ci, réveillé comme d’une extase, lui répond en sanglotant, et tout naïvement : « Nous pleurons. » En effet, aucun des musiciens n’avait songé au passage, et tous avaient leurs yeux pleins de larmes fixés sur le chanteur.

Je vis à Brescia, en 1790, l’homme d’Italie qui était peut-être le plus sensible à la musique. Il passait sa vie à en entendre : quand elle lui plaisait, il ôtait ses souliers sans s’en apercevoir ; et si le pathétique allait à son comble, il était dans l’usage de les lancer derrière lui sur les spectateurs.

  1. Pachiarotti, né près de Piome en 1750, excellait dans le pathétique. Il vit encore, je crois, retiré à Padoue.