Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/113

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Quoique vive et prompte à l’ennui, mon aïeule souffrait les assiduités du cousin Moron avec une grâce parfaite, et cela, j’en suis convaincue, par égard pour sa parenté avec M. Lenoir. Il lui échappait bien, par ci par là, quand Moron s’appesantissait trop dans ses récits, d’agiter son éventail d’une façon sèche en faisant une moue indescriptible ; mais, Moron ne voyant rien, elle avait le temps de se remettre, de songer à son mari, de ramener la patience à sa main et à sa lèvre.

Je devinais plutôt que je n’observais toutes ces choses, avec mon précoce instinct de femme, quand un jour, n’y pouvant plus tenir, emportée par son naturel qu’exaspérait la contrainte, mon aïeule laissa échapper son secret. Elle en était venue, je ne sais trop comment, car elle n’avait pas la manie moderne de s’analyser sans fin et de se plaindre du sort, elle s’était oubliée à me dire les contrariétés, les disgrâces de sa vie. Elle les comptait ; elle les rangeait dans leur ordre d’importance ; elle observait une sorte de crescendo, allant du moindre au pire. Enfin, au suraigu d’un accent inimitable et d’un geste tragi-comique, elle s’écria, en laissant retomber sur ses genoux son immense éventail, découragée : « Et puis… Moron m’ennuie ! »

Mais je reviens à ma première communion et aux circonstances dans lesquelles elle se préparait. J’ai dit