Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/150

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revoir comme possible… Mais je ne voudrais pas m’en faire une représentation humaine, et il m’est impossible de m’en faire une autre[1]. »

La première pensée consolatrice que je sentis surgir en moi, après l’accablement du désespoir, le premier battement de mon cœur, la première pulsation de la vie ranimée ce fut, à l’arrivée de mon frère, dans la longue étreinte où nous confondîmes nos larmes. Jusque-là j’avais aimé beaucoup mon frère. À partir de ce moment, je me soumis à lui de toute mon âme. Il m’apparut comme un père plus jeune, comme un guide, comme un appui dans le monde que je ne connaissais pas. Il prit à mes yeux un caractère d’autorité bienfaisante sous laquelle je m’inclinai d’un élan naturel à mes instincts hiérarchiques. Je fis vœu, à part moi, dans ce moment cruel et doux où il me serrait tout en larmes sur sa poitrine, de reporter sur ce frère aîné toute la piété filiale, tout le respect et tout l’amour que j’avais eus pour mon père. Il ne sut rien de ce vœu, il ne devina pas ce don entier que je lui faisais de mon cœur, de ma volonté, de ma vie, que je n’ai pu retirer qu’en de cruels déchirements, tant il était vrai et profond, malgré mon

  1. « Ich glaube an eine Fortdauer, ich halte ein wiedersehen für möglich, wenn die gleich starke Empfindung zwei Wesen gleichsam zu Einem macht. Aber menschliche Vorstellungen möchte ich mir nicht davon machen and andre sind hier unmöglich. » W. van Humboldt Briefe an eine Freundin, 19ter Brief.