Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/194

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avec quelle émotion je déposai moi-même, le soir, en grand mystère, dans la cellule, au pied du lit de madame Antonia, le bouquet magnifique, odorant et resplendissant, que j’avais choisi pour elle chez la bouquetière du Palais-Royal, la célèbre madame Prévost, le fournisseur en vogue de la cour et de la ville. Mais, au lendemain, quelle consternation, en entendant madame Antonia nous remercier à mots couverts, et en apprenant d’elle qu’elle n’avait pas même vu notre bouquet, confisqué, nous dit-elle,’ et elle pleurait presque, par ordre de madame la supérieure !

Nous n’y pouvions rien comprendre et nous allions entrer en révolte, si notre maîtresse bien-aimée ne nous eût, à son exemple, imposé la soumission. Mais ce n’était pas tout. Mandée chez madame Eugénie, il me fallut ouïr, de sa voix la plus sèche, que j’étais grandement coupable ; que j’avais entré en fraude un bouquet qu’on nous avait interdit d’acheter, que j’avais, de la sorte, donné à mes compagnes l’exemple et l’occasion de l’indocilité, de la tromperie ; que d’ailleurs ce bouquet, tout mêlé de fleurs roses, bleues, rouges, était une insulte à la virginité de madame Antonia, et que j’aurais en conséquence à demander pardon de ma faute à la prochaine réunion de la communauté. L’indignation, la fierté de mon innocence m’ôtèrent la parole. Je me retirai, je traversai les classes sans rien dire à mes compagnes de ce qui venait de m’arriver.