Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/244

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C’était là encore pour moi un sujet d’étonnement, un chagrin qui me repliait sur moi-même, qui me refoulait de plus en plus dans le vide et le silence de mon cœur altéré d’amour.

Le jour n’était pas loin où ce cœur s’allait remplir d’un sentiment vrai, profond, et qui faillit changer en tièrement le cours de mon existence.

Entre les personnes qui venaient chez nous souvent, parmi celles qui s’occupaient de moi, il en était une, une seule, vers laquelle m’inclinait une sympathie vive, mais timide à l’excès, et que je n’aurais su définir. Relativement à moi, relativement aux amis de mon frère, qui m’entouraient et me faisaient la cour, un homme de quarante-cinq ans — c’était l’âge du comte de Lagarde — devait paraître un vieillard. Et pourtant ce fut lui qui me captiva, qui m’inspira un sérieux désir de plaire. Ce fut lui qui bientôt occupa toutes mes pensées.

Le comte Auguste de Lagarde était un homme du monde accompli, de l’esprit le plus fin, d’une grâce exquise. Mais il était mieux que cela, il l’avait prouvé. Chose rare ! la finesse de l’esprit s’alliait en lui à l’élévation du caractère, et la politesse du langage à la sincérité d’une âme forte. Soldat et diplomate, longtemps aide de camp du duc de Richelieu, dont il partageait les opinions libérales, le général de Lagarde portait sous son cordon ronge la marque d’une action héroïque, la