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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/256

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me plongeai avec une sorte de frénésie dans mes lectures romanesques : Werther, René, Adolphe, Manfred, Faust, qui, en exaltant ma sensibilité, m’inoculaient un poétique et maladif dégoût de la vie.

Autour de moi on s’inquiétait. Ma mère consultait les médecins : ceux-ci conseillaient de me distraire ; on en multipliait les occasions. Comme j’avais le goût des élégances, on me prodiguait les présents. À chacun de ses voyages, mon frère me rapportait des pays lointains quelque objet curieux : de Berlin des parures en fer travaillé à jour, qui, sur la peau satinée d’une blonde de dix-huit ans, ne laissaient pas de produire un assez joli contraste; de Lisbonne, des ouvrages en plumes faits selon l’antique art plumaire — arte plumaria — d’oiseaux venus du Brésil. Du congrès de Vérone, où il avait suivi M. de Chateaubriand, il m’envoya un de ces beaux chapeaux en paille que lissent, sur les bords de l’Arno, les jeunes contadines et qui étaient tenus pour choses fort rares alors à Paris. Celui-ci fit sensation ; il n’avait pas coûté moins de cinq cents francs; c’était une merveille de finesse et de souplesse. Une autre fois je recevais de Rome un bracelet en mosaïque dont les médaillons représentaient le Colysée, le Panthéon, le Château Saint-Ange, etc. Ce fut une première image et peut-être un premier désir inconscient de cette Italie que je devais tant aimer.