Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/330

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La poétique et réservée jeune fille avait fait place au romancier, au feuilletoniste hardi et paradoxal, à l’auteur du Lorgnon, de la Canne de M. de Balzac et des Lettres parisiennes. Excitée par la lutte où elle était entrée à la suite de son mari, affranchie de la contrainte des salons qui longtemps lavaient retenue, elle se montrait ce qu’elle avait toujours été au fond, vail lante et véhémente ; elle se laissait voir telle qu’elle était devenue dans les traverses d’une vie très-agitée et très-contrariée : toujours bonne en ses premiers élans, mais aisément irritée, sans mesure dans ses dépits, sans frein dans ses colères ; vindicative par éclair, quoique noble et généreuse ; aussi désintéressée que dans sa première jeunesse de tout ce qui n’était pas la gloire, mais la voulant à cette heure, immédiatement, impérieusement, cherchant les échos sonores, la louange, le bruit, tout ce qui trompe le vide de l’âme, tout ce qui peut distraire un esprit sérieux qui ne s’est pas satisfait lui-même.

Vers le soir de sa vie, si tôt tranchée dans des souffrances physiques supportées avec une rare constance, Delphine avait repris le charme et le sérieux attrait de sa première jeunesse. Plus assurée dans le légitime ascendant de son cœur et de son esprit, elle était redevenue entièremement elle-même : la grave Delphine d’autrefois, la Delphine que j’avais aimée, aussi belle, plus belle encore sous le rayon d’automne à ses cheveux