Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/335

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

choses que je ne puis pas entendre, je tournais les curiosités de mon esprit vers d’autres objets.

La première pensée d’une révolution possible s’offrit à moi d’une manière étrange. Le 1er du mois d’août de l’année 1829, j’assistais a la première représentation de Guillaume Tell, a l’Opéra, dans la loge des premiers gentilshommes de la chambre. Madame du Cayla y vint. Elle était, à son habitude très-parée, très-plâtrée, mais elle avait l’air soucieux. Dans un entr’acte, comme je lui parlais de la musique, elle m’interrompit, et, d’une voix altérée, elle m’apprit ce qu’elle venait d’apprendre elle-même à l’instant, une nouvelle qui paraissait lui causer un véritable effroi : l’arrivée à Paris du prince de Polignac. J’avoue à ma honte que je ne compris pas bien pourquoi une telle nouvelle jetait madame du Cayla en si vive anxiété. Je ne connaissais M. de Polignac que par ce qu’en avait dit mon frère, qui se trouvait depuis un an environ sous ses ordres, en qualité de second secrétaire d’ambassade à Londres. Mon frère aimait beaucoup son nouveau chef ; il le disait très-bon, très-aimable, et se louait infiniment de sa bienveillance. Aussi n’en pouvais-je croire mes oreilles en entendant madame du Cayla s’écrier que la venue d’un tel homme était un grand malheur, une calamité. Je la regardais avec un étonnement qu’elle prit sans doute pour de la consternation, car, en se levant pour quitter la loge, où son inquiétude attirait les regards, elle me