Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/404

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Peu de gens connaissaient le chemin de sa demeure. Vieille, épaisse, sordide en son accoutrement, coiffée d’un bonnet carré, façon moyen âge, elle se tenait à contre-jour dans un grand fauteuil en cuir graisseux, à sa table chargée de cartes cabalistiques ; un gros chat noir miaulait à ses pieds d’un air de sorcière. Le regard prompt et perçant de la devineresse, jeté à la dérobée pendant qu’elle mêlait ses cartes — pour quelques francs en sus du prix commun c’était ce qu’elle appelait le grand jeu — lui révélait sans doute le genre de préoccupation et l’humeur du personnage qui la consultait et l’aidait à prévoir un avenir qui, après tout, pour chacun de nous, et sauf l’intervention très-limitée du hasard, est la conséquence de notre tempérament et de notre caractère. Ce qu’elle me dit m’étonna parce que je ne me connaissais pas moi-même alors, sans quoi j’aurais pu, jusqu’à un certain point, être mon propre oracle, et prévoir, sans consulter personne, quelle serait ma destinée.

Je pris note en rentrant chez moi de ce que m’avait dit mademoiselle Lenormant. Je le transcris ici pour les personnes curieuses de ces sortes de rencontres. « Un changement total dans votre destinée se fera d’ici à deux ou trois ans. Ce qui vous semblerait, à cette heure, absolument impossible se réalisera. Vous changerez entièrement de manière de vivre. Vous changerez même de nom par la suite, et votre nouveau nom deviendra célèbre non-seulement en France mais en Europe. Vous quitterez pour longtemps votre pays. L’Italie Bera votre patrie d’adoption ; vous y serez aimée et honorée. Vous aimerez un homme qui fera sensation