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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/73

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aux globes dépolis. Faisant face au demi-cercle, se dressait sur son estrade, entre deux hauts candélabres, le lit aux rideaux de pourpre. Je dis à ta mère : « Madame de Staël va croire qu’elle comparaît devant la cour d’amour, car ce lit semble véritablement le trône de Vénus. » Enfin, tout au bout d’une suite de salons illuminés, apparut à nos yeux la longuement attendue, die Langerwartete ! Elle était accompagnée de Benjamin Constant, ajustée en Corinne : sur sa tête, le turban de soie aurore ou orangé, la tunique de même couleur ; la ceinture nouée très-haut et de telle façon que son cœur devait être fort mal à l’aise ; ses yeux et ses cils noirs brillaient, ses lèvres aussi, d’un rouge mystique ; son gant, descendu jusqu’au poignet, ne couvrait que la main, qui tenait, comme d’habitude, la fameuse branche de laurier. Comme la chambre où on l’attendait est plus basse que les salons, il lui fallut descendre quatre marches. Malheureusement, au lieu de rassembler par derrière les plis de sa jupe, elle les retroussa par devant, ce qui fut un terrible accroc dans la solennité de la réception. Rien de plus comique, en effet, que le moment où l’immense personne, accoutrée à l’orientale, fondit tout à coup sur la vertueuse et roide assemblée des dames francfortoises. Ta mère me jeta un regard plein de vaillance, dans l’instant qu’on les présentait l’une à l’autre. Je me tenais à l’écart pour bien observer la scène. Je remar-