Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/89

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Goethe, Es ist der herr von Goethe, » s’écria ma cousine Cathau ; presque au même moment, je m’entendais appeler. J’aurais voulu m’enfuir, mais il n’y avait plus moyen : on était déjà trop près de nous. Il faillit m’avancer vers ce cortège imposant. Comme j’approchais : « C’est ma petite nièce Flavigny, » dit l’oncle Bethmann à monsieur de Goethe. — Le vieillard me sourit ; il me prit par la main, me dit, tout en marchant, quelques mots que je n’entendis pas, et, s’étant assis sur un hanc, il me retint à ses côtés, interdite. Peu à peu, pendant qu’il s’entretenait avec mes parents, je m’enhardis jusqu’à lever sur lui les yeux. Tout aussitôt, comme s’il l’avait senti, il me regarda. Ses deux prunelles énormes qui flamboyaient, son beau front ouvert et comme lumineux, me donnèrent une sorte d’éblouissement. Lorsqu’il put congé de mes parents, Goethe mit sa main sur ma tête et l’y laissa, caressant mes cheveux blonds : je n’osais pas respirer. Peu s’en fallut que je ne me misse à genoux. Sentais-je donc qu’il y avait pour moi, dans cette main magnétique, une bénédiction, une promesse tutélaire ? Je ne sais. Tout ce que je puis dire, c’est que plus d’une fois, dans ma longue existence, je me suis inclinée en esprit sous cette main bénissante, et qu’en me relevant je me suis toujours sentie plus forte et meilleure.