Page:Sterne - Œuvres complètes, t1-2, 1803, Bastien.djvu/189

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il s’étoit formé l’idée que les noms, par une espèce de biais magique, avoient, sur notre conduite, sur notre caractère, une influence qu’on ne pouvoit détourner.

Le héros de Miguel de Cervantes ne raisonnoit pas avec plus de gravité. — Il n’avoit pas une foi plus ferme. — Il ne pouvoit rien dire de plus sur le pouvoir qu’avoit la négromancie d’avilir ses actions, ou sur le rare privilége que le nom seul de Dulcinée avoit de répandre du lustre et de l’éclat sur ses faits héroïques, que ce que mon père ne pouvoit dire sur les noms de Trismegiste ou d’Archimède, comparés avec d’autres qui le choquoient. — Combien de Césars, combien de Pompées, par la seule inspiration de ces noms fameux, s’étoient-ils rendu dignes de le porter ? Et combien, ajoutoit-il, a-t-on vu de gens dans le monde qui s’y seroient distingués, si leur caractère, leur génie n’avoient pas été abattus, avilis, sous un nom aussi sot, par exemple, que celui de Nicodême ?

« Je vois à vos regards, monsieur, disoit mon père, que vous n’êtes pas de mon opinion. J’avoue qu’aux yeux de ceux qui ne l’ont pas bien approfondie, elle a plus l’air d’un caprice ou d’une bizarrerie, que d’une chose raisonnable. — Je ne connois